Scientifiser le coaching

De nos jours, le mot « science » est devenu un label de qualité et de crédibilité. Affirmer qu’une discipline est une science, c’est porter sur elle un jugement positif et socialement valorisé susceptible d’avoir des conséquences concrètes (diffusion de ses théories, autorité d’experts, obtention de crédits en vue de recherche etc…).

Mais n’oublions pas que la science est plus qu’un label, c’est à l’origine une méthode dont l’objectif principal est de réduire le doute en tentant de comprendre et expliquer le monde qui nous entoure.

La science est divisée en plusieurs domaines ou “disciplines” dont le champ d’étude s’est étendu à travers l’histoire, mais dans le domaine sportif, plusieurs champs d’études convergent, ayant tous pour but de rendre service à la performance sportive.

En effet dans la course à la performance, plusieurs pôles d’expertise tels que : la physiologie, l’ingénierie, la physique, la bio-mécanique, la psychologie etc… ont une place de choix et donnent, selon leur méthode propre à chacune des informations précieuses, aux coaches et professionnels du sport dans leurs prise de décisions.

Vous avez dans les universités en STAPS, beaucoup de chercheurs en psychologie du sport, physiologie du sport, en bio-mécanique etc… mais très peu de chercheurs en science de l’entraînement ou science du coaching.


C’est l’une des premières problématique du coach :

Combler le gap entre les chercheurs de chacune de ses sciences, qui respectent les règles institutionnelles strictes et restrictives des programmes de recherches et la spécificité des questionnements et des pratiques de terrain.

De plus, l’application des sciences à la performance sportive et aux sports de manière générale est quelque chose de relativement jeune par rapport à l’histoire des sciences, et donc encore trop peu de questions épistémologiques sont posées sur celles-ci (cela est encore plus vrai dans notre sport qui est une pratique encore naissante).

Le propos de cet article va être de donner aux coachs des clefs de compréhension, d’apporter une rigueur au coaching, la plus scientifique possible, ainsi que la capacité de juger de la valeur de certaines théories. Le but final est de limiter un certain nombre de confusions et malentendus sur la science de l’entraînement, et plus largement la science dans son ensemble.

I. La science de l’entraînement comme science empirique et expérimentale…

Car il existe plusieurs méthodes au sein des sciences empiriques :

La méthode hypothético-déductive pure, qui consiste à poser des hypothèses de départ et, grâce à des règles d’inférence supposés valides, déduire des conclusions.

-> Exemple : Tous les hommes sont mortels, Socrate est un homme -> Socrate est mortel.

-> Exemple appliqué à l’entraînement : Plus la distance entre le point d’application de la force et l’axe de rotation est grande, plus la résistance est élevée et au contraire plus la distance est réduite plus l’efficacité des leviers est élevé -> Lors d’un mouvement haltérophile, plus les membres supérieurs et le centre de gravité sont proches du centre des masses de la barre, plus l’efficacité des forces appliqués seront grandes.

Dans cette méthode, si vous n’acceptez pas la conclusion de raisonnement, cela veut dire que vous refusez la conclusion du raisonnement précédent, et que vous devez donc prouver l’inverse.

Dans les sciences formelles comme les mathématiques, la méthode hypothético-déductive permet de faire des démonstrations afin d’obtenir des lois dites « universelles ».

Mais les sciences débouchant de cette méthode ne portent pas de “savoir” à proprement parler mais ne sont que des outils, des constructions linguistiques qui peuvent être utilisés dans les autres sciences ou autres activités humaines.

  • La méthode argumentative :

Un argument est un raisonnement qui vise à prouver ou à réfuter une proposition donnée, mais qui n’atteint pas nécessairement cet objectif. Une démonstration authentique, elle, prouve absolument. L’argument, en revanche, convainc éventuellement.

Il est donc une preuve au « sens faible » du terme : il fournit des éléments en faveur ou en défaveur d’une thèse mais n’est pas impérieux.

  • La méthode expérimentale :

Nous y voilà, l’expérimentation scientifique est l’intervention volontaire et contrôlée sur le cours d’événements. Ceci à l’aide de la méthode expérimentale et d’instruments plus ou moins sophistiqués.

Le but étant de modifier l’enchaînement naturel des phénomènes afin de déterminer quels paramètres produisent un effet donné.

Exemple : Formulation d’un problème -> Emissions d’hypothèses -> vérification de l’hypothèse par la conception d’une expérience -> Réalisation de l’expérience -> Analyse des résultats -> Interprétation

Exemple appliqué à l’entraînement :

Problème : Est-il possible de progresser sur des qualités de force maximale et d’endurance en même temps ?

Hypothèse : Il peut y avoir des interférences sur deux entraînements concurrents, comme la force maximale et l’endurance.

Vérification par expérience : « Concurrent Training: A Meta-Analysis Examining Interference of Aerobic and Resistance Exercises » Wilson et al.

Analyses et interprétation des résultats : « L’entraînement concurrent ne mène pas à une décroissance des qualités de force si la modalité d’entraînement en endurance choisie est adaptée.. »

Les sciences de l’entraînement, sont en quelques sortes des biosciences car s’intéressant aux fonctionnements d’organismes vivant, peuvent utiliser la méthode hypothético-déductive afin de créer un ancrage théorique, mais le seul et unique moyen de tester et valider ces théories sont les tests de terrains, qu’ils valident ou qu’ils permettent de trouver de nouvelles théories ou de nouvelles idées.

En effet, il serait difficile de créer des plans d’entraînement efficaces sur des bases uniquement théoriques ou argumentative. Le seul moyen de trouver ou de prouver et de les tester dans l’environnement même englobant toute sa complexité.

II. … mais aussi comme sciences humaines

En effet, les sciences du sport reposent beaucoup sur des modèles théoriques venant de sciences comme la biologie, physiologie, neuroscience, physique bio-mécanique etc…

Mais n’oublions pas que les sports sont pratiqués par des êtres humains. Il est donc important de connaître et de s’intéresser aux phénomènes psychologiques, aux interactions sociales et aux théories que des disciplines comme la psychologie sociale, la sociologie (des sciences considérées comme molles) s’attellent à étudier.

Les dispositions psychiques et sociales peuvent avoir une influence sur les performances ou la pratique des athlètes. Il est donc important de tenir compte, en tant que coach ou pratiquant de ses disciplines scientifiques.

Nous avons tous déjà entendu quelqu’un parler de l’importance du “mental” dans la performance, ou que le fait d’avoir des “training partners” avait un effet positif sur la motivation. Ou vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vous étiez meilleur ou moins bon, lorsque vous étiez en compétition par rapport à l’entraînement ?

Tous ces phénomènes, que nous avons parfois du mal à expliquer, possèdent leur champ d’étude…

III. Le choix des énoncés

Pour construire une base empirique, il est impossible de relater de tous les faits en rapport à l’objet d’étude car leur nombre et leur diversité sont infinis.

Il est donc nécessaire de faire une sélection des traits que l’on juge les plus pertinents au but poursuivi…

Par exemple, l’objectif est de trouver la méthode d’entraînement la plus optimale pour qu’un athlète soit plus performant en gymnastique lors de ses prochaines compétitions de fitness, est il pertinent de chercher à savoir comment réaliser la figure de la croix de fer ?

Ne serait-il pas plus pertinent de chercher à savoir comment améliorer le butterfly ? Le butterfly est-il vraiment composé d’un réflexe pliométrique ? Quel volume/intensité est le plus optimal pour une prise de force maximale sur les mouvements gymniques pour les athlètes féminines ?

Les facteurs intervenant dans la détermination du jugement de pertinence :

  • Le but poursuivi (que cherche t-on ? Que veut-on obtenir?)
  • Les croyances effectives des locuteurs (théories scientifiques admises, expériences quotidiennes, etc..)

Les recherches dans le domaine du sport souffrent parfois d’un problème de pertinence des énoncés choisis.

En effet les seuls prêts à mettre des moyens financiers dans la recherche dans le sport, sont les marques de complément alimentaire ou d’équipementiers, ajoutez à cela le fait que beaucoup de chercheurs doivent répondre à la logique du « publie ou meurs », ces éléments joue donc un rôle négatif sur la pertinence de certaines publications scientifiques, au détriment de l’avancée dans le domaine.

Dans le monde du Fitness, nous pouvons prendre l’exemple de l’étude biaisée de la NSCA, concluant que la pratique du Fitness Fonctionnel était dangereuse et source de blessures.

Après procès, nous savons aujourd’hui que cette étude à été volontairement déviée à des fins commerciales.

Nous pouvons prendre aussi l’exemple des nombreuses études cherchant à évaluer l’effet de la bêta-alanine sur la performance en endurance, dans le but de soutenir la vente de ce produit.

Est-ce vraiment un énoncé pertinent ? Les ressources financières et humaines mises à contribution pour ces études ne pourraient-elles pas être mieux utilisées ?

IV. Modes d’intervention des instruments de mesures

Comme nous l’avons observé plus haut, les sciences expérimentales ont recours à des instruments de mesure (plus ou moins complexes), sans lesquelles la plupart des théories reconnues n’auraient pu être constituées.

Il est donc important de s’interroger sur la nature et l’intervention de ces instruments…

Les instruments de mesure sont des « théories matérialisées ». Ce qui veut dire, que des théories scientifiques plus ou moins fiables sont utilisées pour créer cet appareil, et qu’il doit y avoir aussi un raccord entre la perception primaires de l’objet et l’interprétation de ces perceptions.

Par exemple pour un baromètre de mercure : « le mercure monte de x cm -> La pression atmosphérique à diminuer de y atmosphère ».

La confiance accordée aux interprétations expérimentales dépend directement de la fiabilité des théories mise en jeu pour la conception de l’appareil.

Mais l’histoire montre qu’il peut arriver que certains instruments soient basés sur des théories mal maîtrisées ou sur des limitations techniques notables. Dans ces cas-là l’interprétation résultant de l’appareil est ambiguë

Nous pouvons transposer cette problématique directement au milieu du sport, par exemple lorsque nous pensions à tort que l’utilisation de l’oxygène n’intervient réellement qu’après 2-3 min d’effort et la phospho-créatine intervient uniquement jusqu’à 10 secondes après le début de l’effort.

Le modèle Anaérobie vs. Aérobie

Cette théorie qui était considérée comme vraie était basée sur des instruments qui n’étaient en réalité pas capables de mesurer les tendances de l’hémoglobine oxygéné (HbO2) au sein du muscle et les tendances de la PCR (phospho-créatine) en temps réel.

Aujourd’hui nous savons grâce à des technologies plus sophistiquées comme la spectroscopie proche infrarouge (NIRS), que l’utilisation de HbO2 et la PCr lors d’un effort sont liées et que dès qu’un effort à haute intensité à démarré, il y a une utilisation immédiate de l’O2.

“Simultaneous in vivo measurements of HbO2 saturation and PCr kinetics after exercise in normal humans”

K K McCully 1, S Iotti, K Kendrick, Z Wang, J D Posner, J Leigh Jr, B Chance

La réalité des théories scientifiques est directement liée aux capacités de mesure, surtout dans les sciences du sport, ou la compréhension des fonctionnements physiologiques nécessite ce genre de mesures.

V. La vérification d’une théorie

L’un des risques de croire en la science est de tomber dans une dérive trop «scientiste ». C’est à dire croire aux théories actuelles de manière dogmatique, comme le ferait un fanatique religieux.

Une loi scientifique n’est en réalité pas une vérité universelle et intemporelle, car premièrement il est impossible de vérifier ses prédictions dans toutes les circonstances, passés, présents ou futurs.

Exemple : La loi d’Henneman nous dit que les unités motrices, sont recrutées par rapport à leur taille, d’abord les plus petites puis les plus grosse et donc les fibres lentes dans un premier temps, puis avec augmentation de la charge ou de la fatigue les fibres rapides par la suite.

Pour vérifier cette loi en toutes circonstances, il faudrait la vérifier chez tous les êtres humains, à tout moment de leur carrière ou de leur âge, sous toutes les formes d’effort (lourd, léger, balistique, rapides, lent, modalités mixé, etc…) et chez les hommes passés, présents et futurs.

Ce qui est techniquement impossible.

De ce fait, la scientificité d’une théorie est déterminée par falsifiabilité. Si une théorie n’est pas vérifiable par le biais d’expérimentations, et donc faisable, elle relève donc de la pseudo-science.

« Le critère de la scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester.” Karl Popper

Une loi scientifique ayant fait ses preuves n’est donc pas « vraie » mais « corroborée », c’est à dire dans l’état actuel des connaissances, n’a toujours pas été falsifiée ou du moins parmi toutes ses concurrentes celle qui l’a été le moins.

VI. L’argument d’autorité

« L’argument d’autorité consiste à invoquer une autorité lors d’une argumentation, en accordant de la valeur à un propos en fonction de son origine plutôt que de son contenu. »

L’argument d’autorité est l’ennemi du débat scientifique car son but propre est de décourager toutes critiques…

Et la construction de cet argument repose en règle générale sur des constructions sociales. C’est-à-dire, la position du locuteur par rapport à la position du récepteur.

Ce n’est pas parce que un argument est donné par un athlète des Games ou un coach célèbre qu’il doit être pris comme vérité et ne pas être soumis à réflexions, vérifications ou critiques.

Nous connaissons tous, cet imparable argument « d’après une étude… », très utilisé par certains coaches et par les médias, ou encore « X athlète professionnel fait cela… donc ça fonctionne ».

Cela ne veut pas dire qu’il faut pratiquer un scepticisme radical, mais attention à garder un esprit critique et comprendre que la réalité est plus complexe qu’une simple opposition binaire de vérité / fausseté.

Conclusion

Comment mettre en pratique ce que nous avons vu dans votre coaching ou votre entraînement ?

  1. Préférez la méthode expérimentale à la méthode hypothético-déductive ou argumentative.

Testez les méthodes, en contrôlant certains paramètres, observez les résultats et tirez des conclusions, ajustez vos programmes ou séances en fonction de ces conclusions.

Ne prenez pas les conclusions d’études comme acquises, mais testez les sur votre public, dans vos conditions afin de tirer vos conclusions de terrain. Agissez en fonction du résultat.

N’oubliez pas : Hypothèse -> Expérimentation -> Résultats -> Conclusion

  1. Vous coachez des humains

Certaines explications ne relèvent pas de la physique ou de la biologie mais de certaines influences, qu’elles soient psychologiques ou sociales. Certaines disciplines cherchent à expliquer les phénomènes de la réalité humaine, l’intérêt de ces disciplines vous aidera à prendre un recul nécessaire pour avancer dans votre quête de connaissance.

  1. Choisissez les bons énoncés

Choisissez d’expérimenter ou de tester les éléments qui paraissent le plus pertinent vis-à-vis des objectifs recherchés.

En effet, chercher à savoir s’ il est bon de boire du jus de cranberry pour la récupération paraît moins pertinent que d’essayer de savoir sur quel volume/intensités votre athlète ou vous même répondez les mieux.

  1. Tous les instruments de mesure ne se valent pas, les théories scientifiques sont aussi directement liées aux capacités de mesure

Ne devenez pas esclaves de la technologie que vous avez à disposition. Pensez que ce sont des outils de plus dans votre boîte à outil et que leur utilisation peut être pertinente dans certains contextes mais moins dans d’autres.

Quel intérêt de mettre un cardio fréquencemètre lors d’un MetCon ou le but est de recréer un effort de compétition ?

  1. Les observations et conclusions que vous vous êtes construites à travers le temps, doivent pouvoir être vérifiables et réfutables – sinon elles ne sont pas scientifiques

Soyez conscient qu’elles ne sont pas des vérités universelles, mais plutôt qu’elles n’ont pour l’instant pas été encore réfutées, et sont les plus « corroborées ». Dès lors, si un protocole d’entraînement que vous appliquez à tous vos clients peut ne pas fonctionner sur un autre – d’où l’importance de rester à l’écoute et ouvert aux changements.

  1. Ne prenez pas automatiquement pour acquises les affirmations d’autorités

Ce n’est pas parce que certains athlètes des Games utilisent certaines méthodes, qu’elles sont les meilleures ou les plus adaptées pour vous.

Mais ne tombez pas non plus dans le scepticisme radical.

Acceptez l’ignorance, restez apprenti.

Sources :

“La théorie physique, son objet, sa structure” Pierre Duhem 1906

“Introduction à l’épistémologie”, Léna Soler, 2000

“Conjecture and refutations : the growth of scientific knowledge” Karl Popper

“Henneman E. Relation between size of neurons and their susceptibility to discharge” – 1957